C'était il y apile un mois, le 31 mars. Et aujourd'hui la future mère va bien, la future grand-mère aussi. «Elles sont sorties de l'hôpital», raconte à Libération le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie obstétrique de l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), et à l'origine de cette première greffe d'un utérus en France, prélevé sur une mère au bénéfice de sa fille.
Aucun grain de sable. Trois équipes chirurgicales, l'une pour prélever, l'autre pour greffer. Et une troisième au cas où, car les interventions sont très longues, plus d'une dizaine d'heures. «Tout s'est déroulé comme prévu», insiste ce chirurgien gynécologue. Jean-Marc Ayoubi a 55 ans. L'homme est chaleureux, originaire du Liban. Longtemps chef de service au CHU de Toulouse, il a fortement développé depuis dix ans ce service de l'hôpital Foch, pour en faire un des premiers centres de la reproduction de France. La greffe d'utérus ? «C'est avant tout un travail d'équipe et un projet d'hôpital. Avec, en plus, une collaboration internationale très intense.» Ainsi qu'«une vraie chaîne de transmission», souligne le docteur. Il raconte : «Dans notre équipe, il y a le professeur René Frydman, à l'origine comme on sait du premier bébé-éprouvette, en 1982, Amandine. Et c'est une histoire qui se poursuit. Car Amandine a accouché chez nous à Foch, d'un petit bébé en 2013.» Qui dit mieux ? Après les premiers bébés-éprouvette, il s'agit d'apporter donc une réponse aux femmes qui n'ont pas ou plus d'utérus. Comme un défi, hier insensé.
Joysticks
Le professeur Jean-Marc Ayoubi est respecté. C'est aussi un pro, très à l'unisson avec l'époque : il a une agence de communication pour gérer ses prises de parole. Surtout, il est, depuis des années, l'un des spécialistes de la robotique. C'est grâce à cette technique que le prélèvement de l'utérus sur la donneuse a été entièrement réalisé. «Mais quelle longue histoire», avoue à demi-mot le professeur Ayoubi. Cela fait plus de dix ans qu'il y travaille, court les congrès, multiplie les publications. Mais il a fallu plus de cinq ans avant qu'il ne reçoive l'autorisation de l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé qu'il n'a obtenue, finalement, qu'en mars 2017 pour réaliser dix greffes utérines. A l'entendre, il y a eu beaucoup de temps perdu. Et pendant ce temps-là, cette quête, d'autres équipes, en particulier en Suède, se sont lancées dans l'aventure. C'est en octobre 2014 qu'a été publiée, dans la revue The Lancet, la première naissance d'un enfant né après une greffe d'utérus réalisée par l'équipe du professeur Mats Brännström de l'hôpital de Göteborg. Depuis, une douzaine de naissances ont eu lieu dans le monde après ce type d'intervention.
En France, deux équipes travaillent sur ce type de greffe, l'une au CHU de Limoges(lire Libération du 17 décembre 2012), et l'équipe de Foch. «Depuis sept ans, raconte le professeur Ayoubi, on travaille avec les Suédois. Nous sommes très proches, on pratique chez eux, on s'est entraînés chez eux. Et on leur a apporté notre technique de robotique pour le prélèvement.» C'est ainsi qu'est né en avril 2018 le premier bébé né après une greffe d'utérus robotisée. Les appareils, dirigés à distance par les chirurgiens munis de joysticks, prélèvent l'utérus via cinq petites incisions d'un centimètre seulement. Cette chirurgie permet une récupération plus rapide pour la donneuse. «C'est le prélèvement qui est très délicat», nous explique Jean-Marc Ayoubi. «Les artères et les vaisseaux utérins sont par nature très fins, et il faut qu'ils soient prélevés au mieux, dans un état intact. Et pour cela, pour la dissection et le prélèvement, la robotique est d'une grande précision.»
Quand ce dimanche 31 mars à l'hôpital Foch, les trois équipes chirurgicales ont commencé l'intervention, elles étaient fin prêtes, ayant répété des centaines de fois les gestes, mais aussi effectué des opérations similaires en Suède. Cette première receveuse française est une femme de 34 ans, atteinte du syndrome MRKH, c'est-à-dire qu'elle est née sans utérus. Et c'est sur sa mère, une femme de 57 ans, qu'a été prélevé l'organe. L'équipe de Foch avait reçu l'autorisation uniquement pour des patientes atteintes de ce syndromette pathologie et uniquement à partir avec une donneuse vivante. Pourquoi ce choix ? «La quasi-totalité des naissances ont eu lieu à partir de donneuses vivantes», argumente le professeur M. Ayoubi. «Et c'est vrai que l'utérus est en meilleur état, en plus on peut programmer, prévoir. Alors que prélever sur une femme en mort cérébrale nécessite des organisations lourdes, avec des équipes de permanence. Mais, précise-t-il, dans l'avenir, nous ne nous interdirons rien.»
Congelés
L'opération de prélèvement, puis celle de la greffe, ont duré près de quinze heures. Après ? «Il faut attendre entre six mois et douze mois que l'utérus redevienne fonctionnel. Car l'objectif est d'obtenir ensuite, si l'on peut dire, la grossesse la plus classique.» Ainsi, avant l'intervention, des embryons ont été conçus avec l'ovocyte de la future mère et le sperme du futur père, embryons qui ont été ensuite congelés, en attendant leur réimplantation.
A Foch, tout est prêt pour l'étape suivante. «Cela donne un espoir à des dizaines de milliers de femmes sans utérus», note le professeur Pr Ayoubi. . Et indéniablement, ce sont de nouvelles perspectives. On estime, en effet, qu'il y a chaque année autour d'une naissance sur 4 500 par an, celle de filles qui naissent sans utérusue chaque année, environ une naissance de fille sur 4 500 est touchée par ce syndrome. A ce premier groupe, il faut rajouter toutes les femmes qui ont eu un cancer et ont subi une hystérectomie. Et puis il y a aussi celles qui ont dû subir une ablation de l'utérus après un accouchement. «Au finalFinalement, on ne sait pas le nombre exact, mais ce sont autour de 100 000 femmes qui sont en âge de procréer», détaille le médecin. Or pour elles, il n'y avait rien, aucune alternative, à moins de choisir l'adoption ou une gestation pour autrui (GPA), mais à l'étranger car – comme on le sait – cette pratique est interdite en France. «C'est une vraie alternative dans le futur à certains cas de gestation pour autrui», note ainsi la docteure Nathalie Lédée qui dirige le centre de PMA de la maternité des Bluets ( l'hôpital Les Bleuets Paris XIIe). D'ici là, il faudra encore attendre. «Mais aujourd'hui, tout devient possible», sourit le professeur Ayoubi.