En 2019, Paris Match rencontrait le professeur Ayoubi, un grand nom de la chirurgie obstétricienne, à l'origine de cette première greffe d'utérus en France. Il nous expliquait alors l’intérêt de cette procédure.
Paris Match A quelle femme une greffe d’utérus s’adresse-t-elle ?
Pr Jean-Marc Ayoubi A une patiente en âge de procréer et désireuse d’enfants, dont l’ensemble de l’appareil reproducteur (hormones, ovaires…) est normal, mais qui est née sans utérus (syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser, le MRKH, affectant 1 femme sur 4 500) ou qui l’a perdu (cancer, hémorragie post-accouchement). Plusieurs milliers de femmes en France sont concernées.
Quel est l’historique de cette greffe ?
Des travaux préliminaires chez l’animal (lapin, souris, brebis) ont été menés dès 1995 en Suède par l’équipe du Pr. Brännström (Göteborg), à laquelle on doit, en 2014, la première naissance après une greffe d’utérus. Elle fut suivie de huit autres. Notre intérêt pour ce projet et le début de notre partenariat avec les Suédois date de 2007. Des travaux communs – l’introduction par notre équipe de la chirurgie robotique pour le prélèvement utérin – ont contribué à faire évoluer la procédure. Notre cadre hospitalier a facilité sa mise en place. L’hôpital Foch a une longue expérience des greffes d’organes et du traitement des cancers féminins. En outre, il est doté d’une maternité et d’un centre d’assistance médicale à la procréation qui permet, avant la greffe, une fécondation in vitro et la congélation des embryons (lesquels résultent des ovocytes de la receveuse fécondés par les spermatozoïdes de son conjoint). Pour l’heure, les autorités, à fins d’évaluation, nous ont accordé la réalisation de dix greffes chez des patientes MRKH.
Qui sont les donneuses et les conditions pour l’être ?
A ce jour, toutes les greffes avec naissance réalisées dans le monde, sauf une, ont fait appel à une donneuse vivante, en priorité la mère ou la sœur de la receveuse. Elle doit être ménopausée, non fumeuse, avoir accouché par les voies naturelles sans complications obstétricales, et avoir un utérus sain. Sa compatibilité avec la receveuse doit être aussi suffisante. Dans un seul cas, au Brésil, la donneuse était en état de mort cérébrale, une approche qui est aussi possible.
En quoi consiste la procédure ?
1. A prélever chez la donneuse, par chirurgie robotique mini-invasive (assurant une dissection très précise) l’utérus avec ses vaisseaux (artères et veines).
2. A transplanter dans la foulée : les vaisseaux du greffon sont connectés à ceux de la receveuse et son vagin au col de l’utérus implanté. Ce qui prend environ huit heures de chirurgie pour le prélèvement et cinq heures pour la greffe. Un traitement antirejet est débuté en peropératoire. En règle générale, les suites sont simples pour les deux patientes. Leur hospitalisation dure environ une semaine. La receveuse est ensuite surveillée mensuellement. Le transfert dans le greffon utérin des embryons cryopréservés n’est réalisé qu’après dix mois, délai pour s’assurer du non-rejet de l’utérus. Pour que les effets indésirables de l’immunosuppression ne se prolongent pas dans le temps, l’utérus transplanté est retiré de la receveuse après une ou deux naissances.
Quel sera l’avenir de ce type de transplantation ?
Prometteur, car la demande féminine est importante. Plus d’une vingtaine d’équipes dans le monde (Etats-Unis, Allemagne, Inde, Chine, Belgique, Mexique, Brésil…) la développent désormais. En France, deux centres, le nôtre (à partir de donneuses vivantes) et celui de Limoges (à partir de donneuses décédées) sont autorisés à l’évaluer. Cette greffe a deux points forts.
1. Elle transmet la vie.
2. Elle est transitoire et donc sans danger à long terme.
* Chef du service de gynécologie-obstétrique et de médecine de la reproduction, hôpital Foch, Suresnes (92).
L'intégralité du reportage exclusif dans le numéro 3746 de Paris Match.