Entretien avec le Professeur Jean Marc AYOUBI, l’hôpital Foch à l’honneur

Le Professeur Jean Marc Ayoubi est Gynécologue Obstétricien, Professeur des Universités à l’UFR des sciences de la santé Simone Veil de l’UVSQ, Université Paris-Saclay, et Chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’Hôpital Foch depuis 2006.

Source : Revue Genesis

Quels ont été les challenges que vous avez dû relever lorsque que vous êtes devenu Chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’Hôpital Foch en 2007 ?

Ce service avait une longue histoire en obstétrique et en maternité. La maternité Foch était considérée comme une Ecole Obstétricale. Au fil des années, la politique de l’hôpital s’est concentrée de plus en plus sur d’autres spécialités que la maternité. Celle-ci est ainsi devenue une maternité comptant 1 400 à 1 500 accouchements par an et les autres activités ont été petit à petit délaissées. Après ma nomination comme chef de ce service universitaire, j’ai favorisé certes la mise en place de projets autour des soins mais aussi de la recherche et de l’enseignement en ouvrant plus de place aux étudiants hospitaliers, aux internes et en créant deux postes de chefs de clinique. A partir de là, nous avons commencé à former une équipe universitaire pour développer d’autres activités que le simple accouchement et le suivi de grossesse. Parallèlement, nous avons aussi mis en place un projet pour monter le niveau de la maternité, accroître le nombre d’accouchements, et développer le suivi des grossesses avec les échographies, le diagnostic anténatal, les préparations à l’accouchement. Afin d’assurer la qualité de la prise en charge, le renforcement de l’équipe a été nécessaire avec une équipe médicale et soignante multipliée par trois.
L’activité chirurgicale a été aussi développée avec un renforcement de l’activité de chirurgie cancérologique et l’introduction de la chirurgie robotique. L’équipe universitaire ainsi renforcée (avec les praticiens hospitaliers, les chefs de cliniques, les internes et les étudiants hospitaliers) a permis une activité universitaire soutenue avec plusieurs projets de recherche, plusieurs diplômes d’université mis en place et de publications qui commençaient à donner une visibilité nationale et internationale de notre service.

Quels ont été les grands axes de développement de votre service ?

Deux projets importants ont été portés par notre équipe. Premièrement, le renforcement de l’activité chirurgicale et surtout l’activité chirurgicale cancérologique. En 2008, nous avons été un service pionnier en France en chirurgie robotique avec l’installation de la chirurgie robot assistée. Aujourd’hui, nous pouvons compter plus de 2 000 procédures de chirurgie assistée avec la prise en charge aussi bien de pathologies bénignes que des pathologies cancéreuses ou encore la prise en charge de l’infertilité pour causes chirurgicales. Et deuxièmement, l’ouverture d’un centre de PMA en collaboration avec l’hôpital de Neuilly qui regroupe sur un même lieu l’ensemble des étapes de la PMA. L’activité a été ensuite rapatriée de Neuilly à Foch en 2016 pour en faire actuellement l’un des premiers centres universitaires de PMA en France avec une équipe d’une cinquantaine de personnes dont 6 universitaires. Cela représente une activité de plus 1 400 ponctions et transferts d’embryons, une activité de consultation et d’échographie importante. Plus de deux milles couples sont pris en charge annuellement dans notre centre.
Dès 2007, nous avons commencé à travailler sur le projet de greffe utérine en collaboration avec l’équipe suédoise et le professeur Matts Branströmm, ainsi qu’avec l’INRA pour la partie animale. Nous avons mis en place un bloc opératoire de chirurgie animale expérimentale pour la préparation à la greffe de l’utérus chez l’humain, qui a permis dix ans plus tard l’aboutissement de la première greffe en France par chirurgie mini-invasive chez une patiente atteinte du syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH). En février dernier, la première naissance après greffe a eu lieu. Cette naissance prend place dans un protocole de recherche qui doit concerner 10 greffes au total.

Pour revenir à la première greffe utérine en France et la naissance le 12 février dernier de Misha, qu’est-ce que cette avancée majeure a suscité ? Quelles sont les avancées scientifiques de cette expérience ?

C’est l’aboutissement de quinze ans de travail d’une équipe composée d’une vingtaine de chercheurs. C’était très émouvant de voir la naissance de Misha. C’est la partie magique de la naissance, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une naissance après greffe utérine. Mais au-delà de cette prouesse médicale et chirurgicale, ce projet comportait plusieurs thématiques associées. Il a permis plusieurs avancées scientifiques significatives dans les domaines de la transplantation et de la reproduction, des avancées dans le domaine de la perfusion des organes prélevés, dans le domaine de l’implantation tant la partie immunologique que la partie infectieuse.
En effet, ce projet a suscité des multiples travaux de recherche. Tout d’abord, sur la greffe en elle-même telle que la perfusion d’une molécule permettant de diminuer le risque d’ischémie, c’est-à-dire, la détérioration de l’organe prélevé dans l’intervalle de son prélèvement à la greffe, qui peut quelquefois s’avérer assez long. Mais également des projets sur le dépistage de rejet du greffe on par l’identification des biomarqueurs exprimés en cas de rejet, sur la simplification et le développement de la technique opératoire, ou sur le suivi de grossesse sous immunosuppresseurs quel que soit l’organe greffé. Ce projet phare de greffe utérine parait comme le navire amiral de tous ces projets qui gravitent autour. Les différentes thématiques développées autour de ce projet de recherche ont permis d’initier et de soutenir 5 Masters II, 3 thèses de doctorat en médecine et une thèse de science. Une autre thèse de science est en cours. Toutes ces thématiques ont abouti à près de 25 publications internationales référencées.

Votre équipe est reconnue pour sa richesse et sa pluralité dans les expertises, pourriez-vous nous la décrire ?

Nous sommes une équipe constituée d’une trentaine de médecins à temps plein, et de plus de soixante-dix personnes temps partiel ou temps plein toutes unités confondues. Le service de Foch est un des rares services en France qui traite toutes les particularités de la gynécologie, de l’obstétrique et de la médecine de la reproduction.
Cela va de l’endocrinologie, la reproduction, le diagnostic anténatal, l’échographie, la maternité, la chirurgie périnéale, la chirurgie robotique, la chirurgie cancérologique, la prise en charge de la ménopause… il n’y a pas une seule spécialité de notre discipline qui ne soit pas réalisée et pratiquée dans notre service. Au cours des années, nous avons été rejoints par de grands médecins tels que le Professeur René Frydman, pionnier dans la médecine de la reproduction, le Professeur Philippe Bouchard, endocrinologue et ancien chef de service de Saint- Antoine, le Professeur Arnold Munich, un grand expert de la génétique, ou encore le Professeur Dominique de Ziegler ancien chef de service à l’hôpital cantonal de Genève. Nous avons été rejoints récemment par le professeur Catherine Racowsky, présidente de l’American Society for Reproductive Médecine (ASRM) et chef de service de médecine et biologie de la reproduction au Brigham and Women’s Hospital de Boston est accueillie au sein de notre service en tant que consultante universitaire depuis le mois de novembre 2020. Ces grands professeurs apportent leurs savoir-faire à l’ensemble de notre équipe et plus particulièrement à nos jeunes médecins. L’expertise et l’expérience de René Frydman, ancien membre du conseil national d’éthique, ont été très précieuses pour notre projet de greffe. C’est une véritable chaîne de transmission vers les plus jeunes.

Aujourd’hui où il apparaît de plus en plus complexe de publier, votre service a une dynamique de publication importante et est à l’initiative de nombreuses publications à l’international. Quels outils ou moyens avez-vous mis en place pour votre équipe ?

Nous publions essentiellement sur trois thématiques importantes : La reproduction en général et la fécondation in vitro en particulier, ensuite la chirurgie robotique et enfin la greffe utérine. Nous arrivons à publier grâce à plusieurs facteurs. Tout d’abord, une équipe médicale hospitalière et universitaire motivée pour participer à cette dynamique de recherche. Ensuite l’unité de recherche clinique de Foch nous apporte une aide précieuse sur le plan administratif et légale.
Nous avons trois éléments réunis : la volonté du chef de service, la volonté de la direction de l’hôpital avec la direction de la recherche clinique, et la volonté d’une équipe motivée pour participer à la recherche et publier. En 2019, nous n’étions pas loin d’une cinquantaine de publications internationales référencées toutes thématiques confondues. C’est une dynamique collective. C’est un intérêt qui n’est pas financier, les articles ne sont pas rémunérateurs. Lorsque l’on intègre ce service, on sait qu’il y a dynamique de recherche, de publication avec une attraction particulière pour l’innovation et l’évaluation. C’est valorisant pour un médecin de voir un article publié.

Quelles influences ou inspirations ont dirigé votre vie professionnelle ? Quels ont été vos combats ou vos ambitions qui vous ont porté et continueront à vous porter ?

Avant tout, il y a une motivation personnelle. Si je fais ce métier, c’est parce que j’aime ce métier. C’est un plaisir. La gynécologie est une spécialité très motivante : la naissance, la reproduction, la fertilité, on sent que l’on participe à atténuer les souffrances des patientes. Lorsque l’on participe à accompagner un couple dans leur désir d’avoir un enfant et que nos efforts sont couronnés de succès, ce sont des moments de satisfaction. C’est un très beau métier au prix d’un engagement total. Nous ne comptons pas nos heures. Dans une équipe comme la nôtre, tous les matins à 8h00 comme beaucoup de service hospitalier il y a le staff pour dynamiser, motiver, analyser, se concerter et transmettre ànos étudiants. Nous avons été inspirés, influencés par nos patrons, nos maitres qui nous ont transmis le savoir et l’amour de cette spécialité. Nous essayons d’apporter notre part, notre pierre à l’édifice en transmettant aux plus jeunes.

Que vous reste-t-il à accomplir ? Avez-vous des projets que vous souhaiteriez voir se concrétiser ?

Ce projet de recherche de greffe utérine s’est concrétisé mais il est loin d’être terminé. Nous avons l’autorisation pour réaliser 10 greffes. Il faut continuer à mener cette recherche, à sélectionner les patientes. Réaliser une première n’est pas le but, on doit réussir les prochaines greffes utérines en développant, simplifiant et perfectionnant cette technique que nous avons développée avec l’équipe suédoise à Foch.
Nous souhaitons la rendre plus à la portée d’autres équipes chirurgicales. Dans le monde, il y a beaucoup de patientes qui pourraient bénéficier de cette greffe utérine. Nous évaluons cette technique et son ratio bénéfices/risques afin de définir s’il faut la pérenniser ou non. C’est pour cela que les autres thématiques portées par ce projet sont importantes. Il conviendrait aussi de continuer à partager, à mettre en commun les données des différentes équipes internationales. Nous avons créé une société internationale de greffe utérine dont je suis membre élu du comité et qui se réunit tous les 3 mois pour évaluer, développer et partager les données presque en temps réel.
Un service tel que le nôtre ne se limite pas à un projet de recherche. Nous avons d’autres projets en collaboration avec d’autres équipes en France et dans le monde. Par exemple, nous avons une très forte collaboration avec les équipes de Göteborg du Professeur Mats Brannstrom, ou encore les équipes d’Harvard et de Cleveland de Genève et de Fribourg. On ne peut pas faire de la recherche isolée dans un service, replié sur soi. Toute la communauté scientifique avance ensemble en partageant ses données et ses avancées. La diversité de notre équipe amène beaucoup d’idées et de projet. C’est motivant pour les jeunes. Nous avons une pyramide des âges qui est très bénéfique pour l’ensemble du service. Il y a une transmission qui se fait. L’importance est de maintenir une dynamique de recherche, de la poursuivre et de la transmettre. Notre rôle, en tant qu’universitaire, est la transmission de notre savoir et de nos connaissances.

Pour conclure, quels messages souhaitez-vous faire passer ?

Maintenir cette transmission entre les générations tout en valorisant l’expertise et l’expérience. Motiver, donner le gout de la spécialité, de la recherche, de l’enseignement à la jeunesse en gardant nos patientes au centre de notre attention et de notre préoccupation. Préserver la collaboration nationale et développer les collaborations internationales qui sont une richesse pour une équipe comme la nôtre.

Le service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’ère du Professeur Jean-Marc Ayoubi en quelques chiffres clés :

Entre 2006 et 2020,

  • La maternité de Foch est passée de 1 500 à 3 400 naissances par an
  • L’activité chirurgicale est passée de 500 à 1 500 interventions chirurgicales par an
  • Dans ce centre pionnier de la robotique en gynécologie, à ce jour on compte plus de 2 000 procédures chirurgicales robotisées réalisées
  • Ce centre prend en charge plus de 2 000 couples par an en PMA et réalise près de 1 400 ponctions pour FIV
  • 70 à 75 médecins constituent l’ensemble de l’équipe médicale
  • En 2019, 50 publications internationales référencées ont été publiées par l’équipe
  • Le 31 mars 2019, c’est la 1ère greffe utérine à partir d’une donneuse vivante en France
  • Le 12 février 2021, c’est la 1ère naissance d’une petite fille après une greffe utérine en France

Le professeur Jean Marc Ayoubi est celui qui a permis la première transplantation utérine française.

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