Les sujets relatifs à la bioéthique se télescopent en ce moment, surtout à 'occasion de la discussion au Sénat du texte de la future loi. Paradoxalement, un événement d'importance - et en plein champ bioéthique - est passé relativement inaperçu : une jeune mère française qui avait reçu il y a un an une greffe d'utérus donné par sa propre mère - ce qui était déjà un pas tout sauf anodin tant au plan médical que symbolique - poursuit logiquement ce protocole de greffe. Elle s'apprête à porter, grâce à l'utérus donné par sa propre mère, une grossesse d'un embryon conçu avec ses ovocytes et le sperme de son compagnon. Douze mois après avoir été transplantée, et n'ayant eu aucun rejet, elle a raconté son expérience dans divers médias. Si la future grossesse se passe bien - ce qu'on lui souhaite -, la naissance de ce bébé constituera une seconde révolution à la fois au plan chirurgical mais aussi dans la définition de ce qui «fait mère». Sujet omniprésent, sous diverses formes, dans les discussions sur la future loi de bioéthique. La greffe d'utérus n'est pas complètement nouvelle : plusieurs dizaines de bébés sont déjà nés dans le monde, la Suède étant pionnière dans ce domaine. L'indication médicale n'est pas nouvelle non plus : des milliers de femmes sur la planète souhaitent par-dessus tout avoir un enfant et ne peuvent mener à bien ce projet faute d'utérus (absence ou malformation dues à une hystérectomie, à un cancer, un syndrome MRKH, ou encore à une pathologie liée à un médicament pris par la mère de la mère quand elle était enceinte). Cette pathologie, l'infertilité utérine, est une épreuve d'autant plus injuste pour ces mères potentielles - et leurs conjoints - que ces femmes sont en général fertiles génétiquement - seule la «poche utérine» manque - et que la médecine n'a pour l'instant (hors la récente, mais ô complexe greffe) pas de solutions à leur proposer. Alors qu'on recourt à la PMA larga manu pour de nombreuses indications d'infertilité. Quant à «l'autre solution» pour une femme qui n'a pas ou plus d'utérus fonctionnel, il existe, on le sait, une méthode ancienne : la GPA, sujet qui en France déclenche des résistances extrêmement violentes principalement idéologiques sur le thème «le ventre maternel est sacré», «c'est la grossesse qui fait la mère», etc.
Ces deux techniques d'«assistance à la maternité» (greffe d'utérus et GPA) renvoient en tout cas - soulignons-le - à une question inédite jusqu'à maintenant, celle de la dimension symbolique de l'utérus. En Occident en effet, il existe une représentation du «ventre maternel» à laquelle notre culture judéo-chrétienne est fortement attachée, celle du mater semper certa est. Une modification de perspective avait été pourtant déjà introduite par la fécondation in vitro, la certitude de la maternité s'étant déplacée du ventre maternel vers une maternité d'intention ; ou vers une maternité génétique qui ne serait pas forcément liée à la grossesse. Avec la greffe utérine, il nous est désormais donné de porter un regard neuf, en les mettant en regard, sur ces deux procédures de AMP (assistance médicale à la procréation) - deux greffes symboliques, en somme, d'un élément du corps maternel. Le devenir psychique des enfants nous fournira plus tard des éléments cliniques essentiels. Apportons dès maintenant à ce débat un «détail» : dans certains protocoles de greffes utérines, on préfère recourir à des donneuses décédées pour éviter les complications éventuelles d'une des deux opérations (ce qui n'est pas le cas de l'équipe française du Pr Ayoubi à l'hôpital Foch de Suresnes, qui ne recourt qu'à des donneuses vivantes). Dans ces deux cas, il faudra en tout cas expliquer à l'enfant qu'il est né grâce au corps de sa grand-mère… ou à celui d'une personne morte. Est-ce plus compliqué que de lui dire qu'il a été hébergé dans le corps d'une autre mère, mère de ses propres enfants ? Faute d'expérience, on ne peut que faire des conjectures pour l'instant. Il est en tout cas important de porter un regard neuf sur la procédure chirurgicale de greffe d'utérus ; et intéressant de la mettre en regard de la gestation pour autrui, ces deux «traitements» correspondant à des indications médicales analogues. Au-delà de l'exploit chirurgical et des cas de réussite (mais il y aura beaucoup d'appelées et peu d'élues…), la greffe d'utérus n'est-elle pas en même temps une «machine de guerre» anti-GPA ?
Geneviève Delaisi de Parseval est l'auteure de la Famille expliquée à mes petits-enfants, Seuil (2016).