Née le vendredi 12 février, la petite fille pèse 1,845 kg. "La mère et l'enfant vont bien", s'est voulu rassurant le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie-obstétrique et de médecine de la reproduction de l'hôpital Foch, dont l'équipe a permis cette première française.
"C’est un immense plaisir et bonheur pour les parents, explique le professeur Jean-Marc Ayoubi à France 3 Paris IDF. Et c’est une immense satisfaction, l’aboutissement de ce projet pour toute l’équipe qui est autour de moi. Plus d’une vingtaine de chercheurs qui ont travaillé pendant 15 ans… C’était extraordinaire d’assister à cette naissance, c’est formidable."
Et d’ajouter : "Cette patiente a commencé à développer une hypertension artérielle pendant la grossesse. L’analyse des risques de complications, autant pour la patiente que pour le bébé, et des bénéfices qu’on pouvait avoir avec la prolongation de la grossesse, a permis de prendre la décision avec le pédiatres et l’ensemble de l’équipe médicale de l’extraction par césarienne, qui a donné naissance à une petite fille qui va très bien. Et la maman aussi."
La mère, Déborah, âgée de 36 ans, avait bénéficié en mars 2019 de la première greffe d'utérus française, réalisée par la même équipe - avec l'utérus d'une donneuse vivante, qui n'était autre que sa mère alors âgée de 57 ans. Née sans utérus, la patiente est atteinte du syndrome de Rokitansky (MRKH), une condition qui touche une femme sur 4 500 à la naissance.
"On attend toujours un an pour être sûr que l'utérus greffé ne soit pas rejeté", souligne le Pr Ayoubi. Un délai allongé en raison de la crise sanitaire et du premier confinement. "Il fallait s'assurer que l'utérus que l'on allait greffer était un utérus sain, que l'utérus que l'on allait greffer n'était pas un utérus malade, et enfin s'assurer que la patiente avait un projet de grossesse et surtout, une fonction ovarienne qui lui permettait d'avoir une grossesse avec son conjoint", expliquait-il à l'époque à France 3 Paris Ile-de-France.
"Greffe provisoire"
La naissance s'est déroulée dans de très bonnes conditions et sans complications notables, selon l'hôpital Foch. Elle est intervenue après 33 semaines de grossesse (7 mois et demi).
Cette grossesse constitue un espoir pour les patientes nées sans utérus ou celles auxquelles il a dû être enlevé. Elle représente une alternative expérimentale à la gestation pour autrui (GPA), interdite en France, ou à l'adoption. Le traitement immunosuppresseur (antirejet) est moins lourd que pour d'autres transplantations d'organe. Il est adapté à la grossesse, comme on le fait dans le cas des greffées du rein enceintes.
Cette greffe n'a pas vocation à être permanente en raison du traitement antirejet. Il s'agit d'une "greffe provisoire" pour avoir un enfant, rappelle Pr Ayoubi. Mais, pour celles qui le veulent, il est possible de mener à terme une deuxième grossesse. C'est le cas de sa patiente, mais "on attendra un an". En Suède, plusieurs femmes greffées ont eu deux enfants, ajoute le spécialiste.
Douze ans de recherche
"Il y a eu autour de vingt naissances dans le monde" après greffe utérine, selon le Pr Ayoubi, également professeur de médecine à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ).
Cette première française est le résultat de plus de 12 ans de recherche et de collaborations, en particulier avec la Suède où a eu lieu la première greffe mondiale en 2014. La naissance, survenue un an après la transplantation, avait été annoncée dans la prestigieuse revue médicale The Lancet par l'équipe du professeur Mats Brännström de l'université de Göteborg. La donneuse vivante avait 61 ans.
Pour leur part, les Brésiliens ont réussi à obtenir la première naissance au monde grâce à une greffe d'utérus de donneuse décédée chez une femme également née sans utérus en raison du même syndrome que la patiente française.
D'autres greffes d'utérus sont prévues à l'hôpital Foch pour des femmes nées sans utérus. L'équipe du professeur Ayoubi avait reçu l'autorisation de l'Agence de la biomédecine et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de conduire un essai clinique pour dix greffes avec donneuses vivantes apparentées.